Définitions
Commençons par parler de technologie(s). Comme beaucoup de mots, celui-ci est polysémique [1].
Étymologie
Le mot technologie vient du grec “technología” (τεχνολογία) soit téchnē (τέχνη), “art”, “compétence” ou “artisanat” et “-logía” (-λογία), l’étude d’une branche de la connaissance, d’une discipline.
La technologie est donc l’étude des arts, des artisanats, des métiers, des sciences appliquées ou d’une branche de la connaissance aux diverses périodes historiques, en matière d’outils et de savoir-faire. En ce sens, la technologie est descriptive [2], et non prescriptive [3].
Si on s’arrête à cette définition, la première technique connue à ce jour nous vient du paléolithique, il y a environ 2,6 millions d’années (Ma) avec la découverte des plus anciens outils de pierre taillée en Afrique (Éthiopie, Kenya) [4]..
La taille de pierre est une véritable révolution dans l’histoire de l’humanité. Avec le temps, les pierres ont des usages de plus en plus spécifiques. [5]
1-Galets aménagés de l’Oldowayen. Les plus anciens outils oldowayens découverts à ce jour datent de 2,55 Ma. Ils ont été découverts à Kada Gona en Éthiopie.
Image par José-Manuel Benito Álvarez alias Locutus Borg (Licence CC BY SA).
2-Bifaces de l’Acheuléen. Les premiers outils acheuléens apparaissent très tôt, il y a 1,76 Ma. Les plus anciens sont connus à la fois dans la région du Turkana au Kenya et dans le sud de l’Afrique.
Image par José-Manuel Benito Álvarez (Domaine public)
3-Méthode Levallois et Moustérien. Cet usage apparait relativement tôt en Afrique, entre 500 000 et 400 000 ans.
Image par José-Manuel Benito Álvarez (Licence CC BY SA).
4-Lames et Aurignacien. Cette méthode correspond au Paléolithique supérieur (45 000 ans avant le présent).
Image par Joseph Déchelette (scan de “Manuel d’archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine”) (Domaine public).
5 et 6-Microlithes et Magdalénien. Fabrication d’outils composites, principalement en étant attachées à une hampe [6] (À partir de 43 000 ans avant le présent).
Images par (de gauche à droite) José-Manuel Benito Álvarez (Licence CC BY SA) et J. G. D. Clark (scan de “The Mesolithic Settlement of Northern Europe”) (Domaine public).
Sens commun
Au quotidien, on utilise le mot technologie dans un sens plus commun. Le contour est plus flou, mais on retrouve souvent certaines caractéristiques.
Le texte suivant est une critique sur l’utilisation de technologies impactantes sur l’environnement.
De nombreux usages et maîtrises techniques sont cependant cruciaux pour permettre un mieux être environnemental et social !
Approche par la production
Concernant un objet en lui-même, on parlera de technologie pour des productions industrielles ou des productions uniques utilisant avec des techniques avancées (généralement électriques ou électroniques, mais pas que…).
On retrouve cette approche du terme “technologie” dans les écrits de Jacob Bigelow. C’est, semble-t-il, ce professeur de Harvard, qui aurait pour la première fois systématisé l’usage du mot “technology” en anglais dans son ouvrage “Elements of technology” (1829).
Concernant l’objet en lui-même, on parlera de technologie pour des productions industrielles, ou des productions uniques, utilisant avec des techniques avancées (généralement électriques ou électroniques, mais pas que…).
Planches extraites du livre « Elements of technology » (1829) de Jacob Bigelow. (Domaine public)
Bigelow suggérait la convergence, à l’aube de la révolution industrielle, des arts et des sciences. Il incite à une sectorialisation accrue des savoirs scientifiques et une répartition scientifique des tâches dans le domaine du travail. C’est ainsi que les premiers usages du terme “technologie” dans le sens qu’en donna Bigelow précédèrent les bouleversements techniques, environnementaux et sociaux du XIXe siècle, et que l’usage du terme se répandit pendant la révolution industrielle. [7]
Bigelow est influencé par l’ingénieur John A. Etzler, qui, voyant dans la technique une dimension religieuse, diffusera quatre ans plus tard son idéal dans un livre très vite reconnu : “Le Paradis à la portée de tous les Hommes, sans Travail, grâce aux forces de la Nature et aux Machines. Adressé à tous les hommes intelligents”. [8]
Ce courant de pensée peut être qualifiée de technosolutionnisme. Selon ce concept, tous les problèmes pourraient trouver des solutions dans des technologies “meilleures et nouvelles”. [9]
Bigelow et Etzler sont millénaristes, courant résurgent à cette époque. Ils pensent que le messie va (re)venir sur terre. Ainsi, il s’agit de préparer le paradis. Dans leurs esprits, les machines et la nature permettent d’abolir le travail et donc, par conséquent, aider les classes sociales les plus défavorisées. Il y a une préparation du jugement dernier, avec un messie terrestre qui chassera l’antéchrist. “Aider les plus démunis sera rendu lors de la résurrection des justes” [10]..
Les considérations productivistes et capitalistes de la révolution industrielle, la sectorialisation accrue des savoirs scientifiques et la répartition des tâches [11] amèneront leur lot de problèmes. Nous pouvons citer, entre autres :
- la perte d’autonomie en ne connaissant pas toutes les étapes des procédés;
- la méconnaissance concernant les productions (sur leurs usages, leurs provenances, leurs implications sociales…);
- la génération de diverses pollutions;
- la décroissance des ressources (la finitude de celles-ci n’étant pas envisagée à l’origine);
- des conditions de travail qui ne s’améliorent pas avec des productions qui augmentent;
- la transformation importante des paysages par l’exploitation grandissante;
- la disparition ou raréfaction de métiers artisanaux;
- une consommation qui s’amplifie;
- une dépendance de plus en plus majeure aux productions;
- …
Approche par l’environnement des produits
De nos jours, on pense aussi aux technologies qui nous entourent et à leurs impacts sur nos quotidiens, sur nos modes de vie. Ces technologies sont un prisme à travers lesquelles on regarde le monde, une dépendance se créée.
Un crayon de bois ou le stylo à bille ne sont que rarement considérés comme des technologies dans le langage commun. Pourtant, si l’on s’attarde à se renseigner sur leurs fabrications, il s’agit bien de techniques de fabrication avancées, voire très avancées.
Cependant, on utilise le plus souvent un crayon pour prendre des notes, gribouiller, dessiner… [12] On garde un certain contrôle sur l’utilisation et la production réalisée. Pour des usages simples, on prend n’importe quel crayon qui nous tombe sous la main, de n’importe quelle marque ou technique de fabrication tant qu’il reste de l’encre ou que la mine est taillée. On s’approprie l’outil, on en fait ce que l’on veut, il ne nous impose pas grand-chose…
Avec des technologies comme internet, on a beaucoup moins de contrôle sur notre utilisation. Algorithmes nous incitant à des bulles informatives, prédictions de nos attentes, accès à des informations qui changent notre vision du monde, falsification de l’information avec des partages de masse… L’outil devient beaucoup moins anodin…
Réflexions critiques sur les technologies
Les réflexions critiques sur les technologies ne sont pas récentes [13].
On trouve de nombreuses formes de critiques sur les productions et les conditions de celles-ci.
On peut mentionner de multiples aspects, comme les questions d’appropriation ou réappropriation [14], évoquées par Karl Marx dès 1844.
Il y a aussi le DIY [15] avec des magazines tels “Popular Mechanics”(fondé en 1902), bien que le sujet soit de niche à l’époque [16]..
On retrouvera plus tard le DIY dans divers mouvements critiques de la consommation de masse, comme les mouvements hippy ou punk.
On trouve aussi des liens entre les mouvements écologistes et technocritiques dans les années 1970.
Comme souvent, un mouvement ne naît pas de rien, mais est inspiré par son environnement et des mouvements qui l’ont précédé.
Pensée technocritique
Dans les approches modernes qui font suite à la révolution industrielle, on pense à Karl Marx qui écrira dans “le Capital” :
“La technologie dévoile le rapport actif de l’homme à la nature, le procès immédiat de production de sa vie, et par conséquent de ses conditions de vie sociales et des représentations spirituelles qui en découlent.”
La pensée technocritique s’amorce au début du XVIIIe siècle en Grande-Bretagne (à l’époque la première nation industrielle) avec la révolte luddiste [17]. Elle évolue ensuite au fur et à mesure que prospère l’industrie et que les humains s’y acclimatent. En France, la critique se fait plus discrète pendant les trente glorieuses où le consumérisme s’exprime pleinement. La pensée technocritique connaît un regain d’intérêt au début des années 1970, quand la crise écologique devient manifeste. Elle s’associe alors à l’écologisme tout en restant parfois critique à son égard [18].
Le terme “technocritique” est forgé en 1975 par l’ingénieur et philosophe français Jean-Pierre Dupuy.
Le néologisme technocritique définit un courant de pensée axé sur la critique du concept du “progrès technique”, considéré comme une idéologie qui serait née au XVIIIe siècle durant la Révolution industrielle et qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, s’ancre dans les consciences, principalement sous les effets de l’automatisation (la mécanisation ou le machinisme) et de l’informatisation [19].
Techno-discernement
Le terme de techno-discernement est arrivé récemment. En français, on trouve sa trace dans un tweet de 2009 d’Amélia Matar. Cela sera la seule occurrence de ce terme cette année-là sur le web.
On parle de “techno-discernement” pour faire appel aux technologies quand on en a un besoin réel.
On peut avoir une attitude ou un mode de vie de faible consommation, sans pour autant rejeter des appareils sophistiqués nécessaires à la santé par exemple.
Les “définitions” données ici restent des contours, car les approches multiples et personnelles peuvent évidemment en élargir les interprétations. En effet, outre la considération technique propre, l’environnement (écologique et social) de ce qu’implique la technique est majeur dans les fondations de la pensée technocritique.
Low-Tech
La (ou les) low-tech n’est pas une démarche technophobe, mais technocritique. Autrement dit, même si elle s’oppose à l’obsession de la high-tech, celle-ci s’accorde du principe de techno-discernement, la low-tech peut donc être complémentaire à la high-tech dite utile [20].
Le concept de low-tech remonte aux années 1970, où il apparaît sous la plume d’Ernst Friedrich Schumacher [21].
Le terme Low-tech est une vision du monde. On pense certes au terme “low-tech” construit comme étant l’opposé de “high-tech”, mais c’est aussi la continuité de la pensée techno-critique. Cela peut prendre en compte de nombreux éléments comme :
- la finitude des ressources;
- des problématiques environnementales diverses;
- les conditions de travail et autres aspects sociaux;
- la réappropriation des outils et de techniques de travail;
- la simplicité (à produire, réparer, démonter, traiter en déchet futur…);
- l’utilisation de ressources locales;
- le zéro-déchet;
- la place des citoyens, des humains ou du vivant plus généralement;
- le partage;
- …
À noter aussi que des nombreuses productions low-tech sont en licences libres, en opposition à la propriété intellectuelle qui empêche le partage.
Le schéma de la page suivante montre une approche plurielle des low-tech.
Auteurs : Arthur Keller et Émilien Bournigal, licence CC BY SA.
Futur des low-tech
On souhaite un bel avenir au low-tech ! Seulement, voilà…
De belles initiatives ont été récupérées par les systèmes qu’elles combattent.
On peut citer la culture libre, qui a comme but de partager le code et les productions intellectuelles de manière générale. Il est de plus en plus présent dans les entreprises, en tant qu’open source ou open data, comme simple outil de production, car mis à disposition gratuitement et modifiable pour ses besoins propres. On peut voir quelques critiques pointer leur nez ici ou là. Selon Richard Stallman, la différence fondamentale entre les concepts de Libre et open source réside dans leurs philosophies : “l’open source est une méthodologie de développement; le logiciel libre est un mouvement social”.
Autre exemple, les magasins coopératifs bio sont de moins en moins des coopératives de consommateurs associés et partie prenante pour s’approvisionner en produits biologiques. Beaucoup continuent à garder l’appellation “magasins coopératifs” en étant une coopérative entre propriétaires des divers magasins… Ces logiques entraînent des colères sociales.
Un dernier exemple concernant l’alimentaire. Le bio ou encore les produits d’appellation sont des initiatives fort louables à la base. À force de lobbying certaines pratiques sont très interpellantes…
Les tomates bio cultivées sous serre en hiver de nouveau autorisées en France, des appellations AOC / AOP [22] avec des modes de productions au profit des grands industriels et non des petits producteurs locaux…
Des concepts pour un mieux-être, social ou environnemental, ont été dénaturés au moment de leur appropriation par des entreprises enlevant la dimension éthique. Risque-t-on la même chose avec la low-tech et des entreprises qui, au mieux garderaient des aspects d’éco-conception, mais enlèverait les aspects sociaux (licence libre, ateliers de partage, transversalité des décisions…) et aussi certains aspects environnementaux (sobriété, durabilité…) ?
Des structures comme Veolia, s’approprie d’ores et déjà le terme de low-tech qui revient dans de nombreuses vidéos de communication [23]…